Encensé pour ses vertus thérapeutiques au XVIe siècle, le tabac sera ensuite considéré comme une drogue nuisible à la santé ; l’industrie du tabac fut pourtant pourvoyeuse de main-d’œuvre et d’abondante recettes fiscales. Jetons un regard curieux sur ce passé pas si lointain.

C’est lors d’un voyage aux Amériques, en 1520, que Francisco Hermandez, médecin du roi Philippe II, observant que les Indiens fument des feuilles de tabac roulées, en importe quelques graines en Espagne et au Portugal. Enfin, c’est pour en avoir présenté des échantillons à la reine-mère Catherine de Médicis en 1560, pour soigner ses migraines, que le nom de Jean Nicot restera associé à l’introduction du tabac en Europe.

En Valais aux alentours du dernier quart du XVIIe siècle, les seigneurs de la République des VII-Dizains se préoccupent de l’usage abondant de tabac par la population. Le risque d’incendie, les effets nocifs sur la santé et surtout le dépit de constater la quantité d’argent qui quitte le pays pour acquérir du tabac conduisent la Diète à en interdire la vente et l’usage. L’état entrevoit toutefois dans ce commerce une source de revenu appréciable ; c’est ainsi qu’en 1694, il accorde au Montheysan Jacques Robert, contre redevance, le monopole de la vente de tabac aux étrangers établis dans le gouvernement de Monthey.

 Près d’un siècle plus tard, les seigneurs haut-valaisans découvrent le substantiel revenu qu’ils pourraient retirer de ce commerce. C’est dans cet esprit que la Diète afferme des bureaux de tabac, dans le Bas-Valais, à quelques notables haut-valaisans, une pratique qui perdurera jusqu’à la révolution de 1798.

Les bureaux de tabac sont alimentés par un dénommé Penel de Vevey. Une situation qui, dès 1815, incite l’autorité, afin d’empêcher l’exportation de numéraire, à créer un établissement pour la culture des feuilles de tabac et la commercialisation des produits manufacturés. Le Gouvernement valaisan confie la gestion de la « Ferme du Valais » à deux commerçant alsaciens établis à Bex, Rodolphe Ehrsam et son associé Paul Huguenin.

En 1848, la liberté du commerce et de l’industrie offre une réelle opportunité au développement de l’économie ainsi qu’une alternative aux Valaisans qui s’en allaient chercher fortune en terre étrangère. Dès lors nous assistons au développement d’initiatives privées, ainsi à Sion en 1862 la création de la Société sédunoise des tabacs ; puis en 1867 celle de la Société anonyme des tabacs du Valais par Alexandre de Torrenté et Guillaume Stucky avec des séchoirs situés au Creuset et la fabrication dans leurs bâtiments sis au quartier Saint-Georges où se trouve une puissante chute d’eau qui permet d’actionner les foulons (meules de pierres) nécessaires à la préparation du tabac à priser. Des produits comme le « Sédunois » ou le « Mont Cervin » procurent de la joie aux amateurs de cigares.

En 1881, l’ingénieur Charles de Lavallaz crée à Monthey la Manufacture de tabacs et cigares de Lavallaz et Cie. Cette entreprise familiale, transmise d’une génération à la suivante – d’abord à son neveu Albert qui la lèguera à son fils Bernard, président de Collombey – occupe, vers 1920, jusqu’à une centaine de personnes ; ses cigares « Monthey fort » ou « Monthey léger » ainsi que son tabac pour la pipe « Gros-Bellet », un nom qui honore celui qui avait bravé l’oppression haut-valaisanne, remportent un franc succès. En 1956, ces deux entreprises, pionnières de l’industrie, unissent leurs compétences pour donner naissance aux Manufactures valaisannes de tabac à Sion. La baisse continue de la consommation de cigares associée à la campagne anti-tabac aura raison d’une entreprise – une cinquantaine de personnes – qui bon an mal an produisait quelque six millions de cigares et au printemps 1982, la Manufacture est contrainte de cesser ses activités.

Les planteurs de tabac de la plaine du Rhône

Aux alentours de 1930, quelques paysans de la plaine du Rhône – notamment du côté d’Ardon, de Collombey-Muraz et de Vouvry – adoptent la culture du tabac. Les importants travaux de défrichement, entrepris en 1940 dans le cadre du plan Wahlen dans la région de Collombey, augmentent notablement les surfaces d’exploitation. La plantation, la cueillette, la préparation dans les séchoirs procurent un complément de revenu appréciable à une main-d’œuvre locale.

En 1935, pour coordonner leurs intérêts face aux fabricants de cigarettes, les planteurs se constituent en Association valaisanne des planteurs de tabac. Ainsi, la création en 1942 de Tabac Rhône, une société anonyme pour la promotion de la culture du tabac ; parmi ses nombreuses activités, signalons la construction d’hangars équipés de logements. En 1945, c’est le fabricant de cigarettes Turmac SA qui construit un séchoir à Vouvry pour traiter la production d’une centaine de planteurs qui exploitent une superficie de près de vingt hectares.

Au lendemain de la guerre, ils sont près de deux cents planteurs à cultiver 158 hectares. Dès les années 1970, la chute des rendements, due notamment aux premières campagnes anti-fumeur associées aux difficultés économiques de 1973, entraînent une baisse de la production et au début des années quatre-vingt ils ne sont plus qu’une vingtaine à exploiter 25 hectares. Enfin, la baisse des ventes de cigarettes (contenant 50% de tabac indigène) tout comme celle du tabac pour la pipe auront pour conséquence la fermeture du séchoir de Vouvry suivie de la dissolution de l’association des planteurs de tabac de la plaine du Rhône.

Ainsi se termine l’épopée du tabac en Valais. Aujourd’hui, les bâtiments de Tabac-Rhône à Illarsaz demeurent les seuls témoins de l’activité de l’industrie du tabac en Valais.

robertgiroud