« La musique adoucit les mœurs » dit l’adage bien connu ; mais il advient parfois que la politique vienne démentir cette sagesse ; c’est la mésaventure qui s’est produite à Collombey lors de la Fête-Dieu de 1922.

En février 1876, une cohorte d’amateurs d’art musical fonde la société de musique La Collombeyrienne. Enthousiaste, la toute jeune fanfare offre son premier concert à la population lors de la fête patronale le 23 mai ; puis, quelques jours plus tard elle instaure une nouvelle pratique dans la vie locale en participant à la procession de la Fête-Dieu, une première dans l’histoire du bourg collombeyroud. Une coutume qu’elle va perpétuer durant des décennies.

Mais soudain, un événement inattendu vient troubler cette cordiale harmonie. Dans son édition du 30 juin 1922, le journal Le Confédéré relate cette mésaventure sous le titre « Sacrilège puni ! » ; aux dires du correspondant bas-valaisan de la feuille radicale, La Collombeyrienne se serait rendue coupable d’un « horrible sacrilège » voire d’un « crime de lèse-majesté » le jeudi 15 juin, jour de la Fête-Dieu.

Nom de bleu, un crime à Collombey ! un fait divers digne de figurer dans la série de FR3 « Crime à … ». Que s’est-il passé ? Les autorités lui avaient signifié l’interdiction d’accompagner le Saint-Sacrement lors de la procession de la Fête-Dieu. Si les voies du Seigneur sont impénétrables, celles de la politique sont parfois ténébreuses. Eh ! oui il s’agit d’une affaire politique. Après de nombreuses années de règne à Collombey, les radicaux perdent la majorité au profit des conservateurs lors des élections communales du 5 décembre 1920 ; Le Nouvelliste salue la victoire des troupes conservatrices qui désormais, et pour longtemps, s’installent aux sièges de la présidence et de la vice-présidence. Une élection contestée par les radicaux, nous en parlerons dans une prochaine chronique tant la chose paraît rocambolesque.

La nouvelle majorité politique installée à la Maison de Commune se devait d’affirmer son pouvoir, notamment du fait qu’elle dispose aussi de sa propre fanfare, L’Avenir, et mettre au pas – sans jeu de mot – ces musiciens de La Collombeyrienne qui s’étaient arrogé le privilège de participer aux choses de la religion ; en effet, il est de notoriété publique qu’ils n’appartiennent pas au clan du parti conservateur, ce sont des gripioux, des rouges mâtinés d’anticléricalisme ; certains de leurs ancêtres n’avaient-ils pas, en juin 1844, affronté les troupes de la Vieille Suisse, bras armé des conservateurs.

Outrés par cet incompréhensible dictat, les responsables de La Collombeyrienne interviennent aussitôt auprès du préfet Aristide Martin ; le représentant de l’État s’empresse de trouver un arrangement avec les comités des deux sociétés de musique : chacune jouera à tour de rôle au cours de la cérémonie. Mais voilà, cet œcuménique accommodement n’a pas l’heure de plaire au président de la commune qui manifeste son catégorique refus et décrète que seule la conservatrice Avenir est autorisée à accompagner le Saint-Sacrement le jour de la Fête-Dieu.

Alors, les musiciens de La Collombeyrienne, confortés dans le respect des us et coutumes, bravent l’oukase présidentiel et défilent dans les rues du village en jouant l’un de ses plus beaux airs. Humiliée par cet irrévérencieux affront, l’autorité ne pouvait demeurer impassible et condamna la coupable fanfare à un châtiment exemplaire : une amende de quinze francs et la suppression du subside communal de cent francs. Le correspondant du Confédéré relève que La Collombeyrienne a toutefois échappé au pire ; en effet, dans une chrétienne mansuétude le Président de la commune renonce à appliquer l’article 101 du Code pénal qui prévoit un emprisonnement de dix ans et une amende de 200 francs pour un tel forfait.

« Tout est bien qui finit bien » dit une autre maxime et c’est ainsi que bien des décennies plus tard, les deux fanfares collombeyroudes, L’Avenir et La Collombeyrienne s’assembleront en une seule société, pour l’amour de la musique.