Les partis politiques, tels que nous les connaissons aujourd’hui, se sont structurés à l’aube du XXe siècle ; auparavant les citoyens se rassemblaient au sein d’associations telles la Société des droits de l’Homme, l’Union patriotique valaisanne ou encore la Jeune Suisse (thème de cette chronique) pour débattre sur leur destin politique.

Vers 1830, alors qu’un vent de liberté souffle sur l’Europe, le Gênois Joseph Mazzini propage un idéal philosophique fondé sur le combat de la « jeune égalité contre les anciens privilèges », un concept qui devrait conduire à la victoire « des jeunes idées sur les vieilles croyances ». Après quelques funestes péripéties, pourchassé par les régimes autoritaires, au printemps 1834, Mazzini trouve refuge en Suisse. Le mouvement de réformes qui s’y développe alors lui offre l’opportunité de créer une section helvétique de la Jeune Suisse[i]. Toutefois, sous la pression des régimes autoritaires, la Diète fédérale (11 août 1836) est contrainte d’expulser les réfugiés et mettre ainsi un terme au projet de Mazzini.

Mais voilà, tel le phénix de la légende, la Jeune Suisse va renaître de ses cendres en Valais vers 1836, à l’initiative du Montheysan Adrien-Félix Pottier et de l’Octodurien César Gross. Première association politique structurée (avec des statuts publiés) en Valais, elle va apporter son soutien aux libéraux-radicaux dans leur combat pour la reconnaissance du principe de l’égalité des droits avec notamment une représentation à la Diète proportionnelle à la population. À son apogée, elle rassemble un millier d’adhérents disséminés dans quarante des quarante-six communes des districts occidentaux ; chacune de ses sections locales porte un nom, « La Tour » à Martigny, « La Vièze » à Monthey, etc.

L’une d’elles nous intéresse tout particulièrement ; celle de Collombey-Muraz dénommée « La Vire », du nom de l’arête rocheuse – les Sex de la Vire, située à l’est de la Combe de Dreveneuse – qui surplombe le village de Muraz ; elle est fondée en 1841 à l’initiative de Jean Didier Parvex fils ; Pierre Joseph Donnet puis Xavier Wuilloud en assurent successivement la présidence. « La Vire » compte une soixantaine de membres (voir liste plus bas) qui vont être associés aux événements qui bouleversent le pays.

À ce moment-là, le Valais est en pleine régénération politique. Le Haut-Valais avait refusé de reconnaître les Constitutions des 30 janvier et 3 août 1839, une situation qui a conduit à la division du canton en deux parties. C’est ainsi qu’au printemps 1840, le Valais se trouve avec deux gouvernements, l’un, réactionnaire, à Sierre et l’autre, libéral, à Sion, une situation pour le moins préoccupante où l’affrontement par les armes semble inéluctable. En effet, une troupe, de six à sept mille hommes, mobilisée par le Gouvernement réactionnaire de Sierre, cerne le chef-lieu qui, au soir du 30 mars 1840, se trouve ainsi en état de siège. Le Gouvernement libéral de Sion mobilise six à sept cents hommes, placés sous la houlette du conseiller d’État Maurice Barman, nommé commandant en chef pour la circonstance ; il est secondé par le commandant Alexis Joris, d’Illarsaz, à la tête d’un bataillon composé majoritairement de Jeunes Suisses.

Dans la soirée du 31 mars 1840, une trentaine de carabiniers, commandés par le lieutenant Jean Didier Parvex occupent le village de Champlan ; le lendemain, 1er avril, aux aurores, ils attaquent l’ennemi embusqué dans le village de Grimisuat et le mettent en fuite. Puis, ils se dirigent sur Saint-Léonard où ils contribuent à la prise de la cité léonardine occupée par les Hauts-Valaisans, mettant ainsi un terme à cette amère guerre civile. Enfin, ils occupent le bourg de Sierre, siège de l’éphémère Gouvernement réactionnaire, jusqu’au moment où les dizains orientaux font allégeance au Gouvernement libéral.

La victoire libérale de 1840 exacerbe les réactionnaires, nostalgiques des privilèges de la Constitution de 1815, qui ne tardent pas à fomenter une revanche. C’est d’abord la fondation d’une « Ligue contre le mal croissant dans la patrie » ; puis la création, au printemps 1843 de l’association de la Vieille Suisse pour le maintien de la Constitution de 1815. Enfin, leur victoire aux élections du printemps 1843 encourage les réactionnaires à se mobiliser pour « soustraire l’État à la proie du radicalisme. » Des échauffourées, avec mort d’homme, se produisent dans le Bas-Valais.

De forfaiture en trahison, les réactionnaires enchaînent les provocations. Pendant la session du printemps 1844 du Grand Conseil, une cohorte de députés conservateurs, réunis dans le plus grand secret le jour de l’Ascension, appellent les troupes du Haut-Valais à occuper le chef-lieu. Avertis, les responsables du Comité de Martigny et de la Jeune Suisse appellent aux armes les volontaires du Bas-Valais. Dès lors, depuis la vallée de Conches et du confins du Chablais, deux troupes adverses marchent sur Sion. Le Conseil d’État leur obtempère d’interrompre leur marche sur la capitale. Si Maurice Barman renonce à poursuivre son avancée, les troupes haut-valaisannes envahissent la ville de Sion.

A l’aube du mardi 21 mai 1844, alors que les troupes d’Alexis Joris et de Maurice Barman rentrent dans leurs foyers bas-valaisans, elles tombent dans un guet-apens médité de longue date par les réactionnaires. Au moment où l’avant-garde de la colonne d’Alexis Joris emmenée par le lieutenant Jean Didier Parvex, s’apprête à franchir le pont couvert sur le Trient à l’entrée du village de Vernayaz, des Vieux Suisses en embuscade sur les rives escarpées des gorges du Trient ouvrent le feu ; Jean-Didier Parvex est mortellement atteint.

Le 24 mai 1844, le Gouvernement réactionnaire décrète la dissolution de la Jeune Suisse. Chaque commune est sommée de recueillir la renonciation des membres de la Jeune Suisse à leur association, d’obtenir leur engagement à respecter le gouvernement et la promesse de ne plus jamais faire partie de société analogue. Une atteinte manifeste à la liberté d’association et celles qui n’obtempèreraient pas à l’ukase seront considérées comme rebelles à l’État et punies avec toute la sévérité des lois.

Les vainqueurs de 1844 manifestent un esprit de vengeance comme en témoignent ces quelques exemples : le président du Conseil d’État, Ignace Zen Ruffinen, juge inconvenante l’épitaphe « Ci-gît le brave Jean-Didier Parvex, tué au massacre du Trient le 31 mai 1844 » qui figure sur sa tombe et exige de la supprimer. Par ailleurs, le Gouvernement organise une chasse aux sorcières avec l’établissement d’une liste de Jeunes Suisses qu’il considère comme dangereux et coupables. Enfin, la menace exercée par le Gouvernement autoritaire à l’égard des citoyens qui manifestent leur opinion libérale est telle que certains choisissent d’émigrer pour fuir l’opprobre du parti réactionnaire qui s’abattait sur eux ; c’est le cas de Jean-Didier Kay de Collombey-le-Grand qui s’en est allé avec toute sa famille en Argentine.

Au nom de l’égalité des droits, Jean-Didier Parvex a succombé à la barbarie commise par le fanatisme des opposants au progrès. Souvenons-nous !

[i] Le 26 juillet 1835 à Villeneuve, à l’auberge de la Croix-Blanche.

Les Jeunes suisses de Collombey-Muraz

Collombey

 

Muraz

Abbet Nicolas ()

 

Bois Joseph Louis (1809)

Billoud Alexandre (1812)

 

Carraux Jean Didier (1812)

Billoud Pierre ()

 

Carraux Jean Joseph (1809)

Borgeaud Hyacinthe (1823)

 

Carraux Pierre François ()

Borgeaud Pierre Didier (1815) *

 

Diaque Pierre (1819)

Burdevet Alphonse (1824)

 

Donnet Maurice (1809)

Carraux Pierre Marie (1802)

 

Donnet Adrien (1820)

Cottet Adrien ()

 

Donnet Jean Joseph (1813)

Cottet Jean Didier (1825)

 

Donnet Pierre Joseph (1788) *

Cottet Hyacinthe (1806)

 

Parvex Alphonse ()

Delenvers Pierre Didier (1819)

 

Parvex Casimir (1819) *

Donnet Jean-Claude ()

 

Parvex Cyprien (1831)

Donnet Jean Pierre (1812)

 

Parvex Joseph (1780)

Donnet Pierre Alexis (1820) *

 

Parvex Louis (1822)

Gaidon Jean Joseph (1816)

 

Turin Cyprien (1821)

Gaidon Joseph (1823)

 

Turin Emmanuel (1826)

Rouiller Pierre Marie (1823)

 

Turin Frédéric (1823)

Tormaz Jean Louis (1825)

 

Turin Michel (1820)

Veuillez Joseph ()

 

Vanay Jean (1807)

Wuilloud Innocent (1826)

 

Voisin Adrien (1822)

Wuilloud Isidore (1814)

 

Voisin Alexandre (1825)

Wuilloud Narcisse (1824)

 

Voisin Félix (1823)

Wuilloud Pancrace (1819) *

 

Illarsaz

Wuilloud Xavier () *

 

Borgeaud Pierre Henry (1824)

Collombey-le-Grand

 

Joris Alexis (1800) *

Borgeaud Alexandre (1822)

 

Parvex Jean Didier (1784) *

Burdevet Jean Maurice (1822)

 

Parvex Jean Didier fils ()

Kay Jean-Didier (1794)

 

 

Kay Jérémie (1828)

 

 

Parvex Narcisse (1820) *

 

 

Parvex Adrien

 

 

* considérés comme dangereux et responsables.

Jean Didier Parvex


Quelques éléments sur l’entourage du brave Jean Didier Parvex de la section La Vire.

Hommes dangereux et coupables

Extrait de la liste des « Hommes dangereux et coupables » établie par le Gouvernement réactionnaire en juin 1844.

Renonciation

Extrait du protocole de renonciation à la Jeune Suisse établi à Collombey le 31 mai 1844.